Réparer.
Autant l’enjeu climatique a gagné en visibilité médiatique ces dernières années, autant la biodiversité peine à se faire une place au registre des questions majeures.
Sans méconnaître les liens profonds entre les deux sujets, je veux dire ici, qu’au regard de la faiblesse des mobilisations qui se réclament de sa préservation, la biodiversité est une idée neuve en Europe. Si je paraphrase le célèbre discours de Saint-Just du 3 mars 1794, c’est pour mieux souligner le caractère authentiquement révolutionnaire de la prise en compte des enjeux de la biodiversité.
Nous autres écologistes, formulons le vœu que l’impératif de préservation de la biodiversité gagne en cardinalité, devenant ainsi le pivot d’un changement de paradigme politique qui reposerait sur la prise de conscience de l’interconnexion du vivant. L’effondrement en cours de la diversité a déjà, et aura demain davantage encore, des conséquences lourdes, et pour certaines, irrémédiables, sur la planète comme sur nos existences. Pourtant, comme le soulignait récemment encore le journaliste du Monde, Stéphane Foucart, des voix s’élèvent, porteuses d’une forme de déni sur la réalité et les risques des atteintes portées à la biodiversité.
Je crois à la pluralité des opinions. J’aime le débat et ne dédaigne pas parfois qu’une dose de polémique vienne troubler le consensus ronronnant. Mais pas aux dépends de la lucidité. Lorsque l’état de la science permet de comprendre la catastrophe, il est bon de sortir du régime de l’opinion pour se plonger dans l’examen des faits et des phénomènes en cours. Moult études documentent avec rigueur et précision, depuis longtemps, l’érosion de la biodiversité, et permettent de saisir les menaces qui pèsent par exemple sur l’entomofaune. Nier le danger, c’est s’empêcher de le combattre. Et éviter que les politiques publiques ne bifurquent vers l’objectif de préservation de la biodiversité. C’est prolonger l’illusion selon laquelle on peut sans conséquences persister dans la voie actuellement suivie. C’est s’empêcher également de se poser une question simple et brûlante : à quelles conditions une écologie de la réparation est-elle encore possible ?
Par écologie de la réparation, je n’entends pas la possibilité de réparer les objets du quotidien que la société de surconsommation fabrique et vend à tour de bras. Ce sujet est essentiel, et je ferraille au sein du Parlement pour que soient enfin prises les mesures qui permettent de contraindre les fabricants à commercialiser des objets réparables pour lutter contre le gaspillage. Mais cette bataille n’est que l’un des volets du basculement philosophique et politique que nous devons promouvoir.
L’écologie de la réparation examine les conséquences globales de notre système productif sur les écosystèmes en se plaçant du point de vue de leur capacité de régénération. Elle questionne les seuils au-delà duquel les atteintes au vivant sont irréversibles. Si bien que le premier geste d’une écologie de la réparation est de postuler l’irréparable. De penser la perte, l’irrémédiable, la fin. C’est d’abord parce qu’on sait la fragilité du vivant qu’on peut envisager la réparation. La trame de la vie ne tient qu’aux entremêlements de fils que constituent les espèces vivantes et leurs milieux. Ce sont ces fils ténus que défendent les écologistes.
Nous savons que des espèces disparues ne reviendront jamais. Nous savons que des équilibres rompus ne se recréeront pas. Mais nous connaissons aussi la force de la nature, et son incroyable résilience. Dès lors, l’impératif de réparation doit habiter notre génération. Les dégâts de ce l’on a trop longtemps abusivement appelé progrès et qui n’était que ruine de l’humain et de la nature ne peuvent être passés par pertes et profits. A l’heure où d’aucuns continuent de défendre le redressement productif comme une ligne politique susceptible de répondre aux enjeux de notre temps sans quitter leur logique productiviste, je préfère affirmer que c’est la nécessité du redressement écologique, fondé sur l‘impératif de réparation, qui constitue l’horizon indépassable de notre temps. Pour qu’on me comprenne bien, j’enfonce le clou de mon raisonnement par une formule : réparer ou disparaître, telle est la question.
Si je relie les rives de la philosophie politique à celles des réalités biologiques, s’ouvre le champ des politiques « réparatrices ». Défendre et promouvoir celles-ci demande de ne pas enfourcher une nouvelle supercherie scientiste. L’écologie de la réparation ne doit pas devenir le rêve prométhéen de démiurges qui pensent possible de détruire sans limite la nature, et affirment en substance que nous saurons compenser ou réparer demain les atteintes que nous portons aujourd’hui aux écosystèmes. Confisquer l’idée de réparation pour justifier la destruction est immoral. Notre dette écologique nous oblige : ce que nous pouvons réparer, nous devons le réparer sans attendre.
Ce qui demande d’abord de cesser les attaques contre le vivant et de sortir de la logique prédatrice qui constitue le cœur du réacteur capitaliste. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut pousser plus loin encore notre cheminement. Et rompre avec l’idée que tout est achetable, monnayable, financièrement compensable. Penser, une fois encore l’irréparabilité du monde.
L’un des visages de cette irréparabilité, est l’altération des paysages, trace visible de la disparition parfois silencieuse du vivant. Les infrastructures nécessaires à notre modèle dominant actuel défigurent nos cadres de vie, rarement pour le meilleur, et le plus souvent pour le pire. C’est notre rapport au monde sensible qui est amputé. Un cours d’eau bétonné, une prairie urbanisée, une montagne rabotée, une forêt coupée à blanc, des champs dont les haies ont été rasées, constituent des pertes irrémédiables. On abime notre sentiment de bien-être et d’attachement au vivant. L’écologie de la réparation consiste aussi à réparer notre rapport au vivant. Cette réparation, enracinée dans l’idée de notre interconnexion dans un monde commun pourrait constituer un pas vers un nouveau rapport aux autres qui ne sont pas seulement autres mais aussi nos semblables. L’écologie de la réparation vise aussi à ré-enrichir notre mémoire collective et notre identité en leur rendant l’idée de nature dont elles ont été amputées.
Réparer ?
De ces considérations découlent une série de questions juridiques et économiques de premier ordre allant de la question de l’indemnisation du préjudice écologique, jusqu’ aux débats en cours sur la « financiarisation » de la nature.
Je ne suis guère favorable à cette dernière. Je comprends la légitimité du débat, et je sais que nombre de ceux qui défendent cette option sont sincères. Mais le chemin de l’enfer écologique est pavé des bonnes intentions de ce genre. Parce que, si on suit cette pente, les apprentis sorciers qui ne sont jamais en reste pour inventer un nouvel artéfact susceptible de préserver la logique du marché à outrance, s’engouffreront dans la brèche, pour maintenir la logique capitaliste. Quelle est l’idée ? Donner une valeur financière au patrimoine naturel, évalué en fonction des « services » que celui-ci est censé rendre économiquement ? Combien « vaut » le grand canyon ? une zone humide ? une mangrove ? un bosquet ? Ce nouvel outil à prétention écologique est déjà prêt et ses avocats entendent l’imposer comme l’un des dispositifs de « la finance verte ». Il serait dès lors possible d’acheter des « produits financiers verts » censés « compenser » des destructions qui, par cette opération, deviendraient acceptables. Réparer demande d’abord de cesser de causer de nouveaux dommages. Je crains, qu’au bord du gouffre, la financiarisation de la nature ne soit un nouveau pas en avant vers le chaos. Il est urgent de ralentir. La première condition de la réparation écologique, c’est la décélération. Parce que la course folle à l’accumulation à laquelle nous pousse le modèle dominant, repose sur des machineries incompatibles avec la préservation et la réparation d’une biosphère hospitalière à la vie. Dès lors, réparer c’est ralentir et adopter un rythme en phase avec les cycles qui permettent au vivant de s’épanouir.
Les anciens connaissaient une forme de sagesse, qui vivaient au rythme des saisons. L’écologie de la réparation demande une reconnexion avec le réel.
Réparer, c’est nécessairement assumer une bifurcation de notre modèle agricole pour qu’il s’inscrive dans un lien harmonieux entre les milieux naturels et la production nécessaire de ce dont dépend notre substance alimentaire.
Les débats actuels autour de la Politique Agricole Commune et de sa déclinaison en France sont révélateurs des blocages persistants. La PAC actuelle ne profite ni à l’environnement qu’elle fragilise, ni aux agriculteurs et aux agricultrices qu’elle prolétarise, ni aux citoyennes et citoyens qu’elle insécurise. Pourtant les partisans du statu quo la défendent et bec et ongle pour protéger non pas l’intérêt général mais leur rente.
Il faut donc dénoncer la répression qui s’est abattue sur les syndicalistes paysans qui refusaient la fragilisation de l’accompagnement de l’agriculture biologique. C’est folie que de condamner celles et ceux qui défendent notre salut alimentaire… Puisque nous sommes en campagne des régionales, j’invite pour conclure chacune et chacun à comprendre que l’impératif de réparation est à la fois une question planétaire et une question territorialement ancrée.
C’est localement que nous pouvons le mieux constater les dégâts, que nous devons combattre et réparer. C’est aussi localement que nous pouvons inventer les politiques les plus appropriées pour parvenir à enrayer la destruction de la biodiversité. On ne pourra pas permettre aux écosystèmes de se régénérer en poursuivant une politique aveugle de déménagement du territoire qui donne la priorité au béton sur la préservation des espaces naturels, une politique agricole qui perpétue les pesticides au lieu de les défaire, ou une politique des transports qui privilégie le tout voiture et les lignes à grande vitesse au détriment de la desserte juste de tous les territoires.
Réparer ? C’est commencer d’inventer un autre monde et de faire émerger une autre France, plus belle parce que défendant ses paysages, plus forte parce que se préservant des ravages de la mondialisation, plus digne parce que ressourçant son identité républicaine dans le refus du sacrifice des communs naturels sur l’autel de l’argent roi.