Pour que tous les chemins ne mènent pas à Rome.
En Europe, la victoire de Giorgia Meloni en Italie ne peut laisser indifférent. J'ai bien lu les analyses disant qu'à proprement parler, elle ne s'inscrit pas dans la geste fasciste. J'ai entendu les arguments expliquant que le terreau de sa victoire est davantage social qu’identitaire. Mais rien ne doit nous conduire à banaliser cette victoire. Qui pourrait prétendre qu'il ne s'est rien passé ? Au-delà du contexte national, la victoire de « l'union des droites » informe de la puissance polarisante de l'extrême-droite qui met sous tension tout le flanc droit du champ politique européen. De là découlent de sérieuses questions politiques que j'ai déjà évoquées dans de précédentes notes de blog, mais qui, au regard de l'actualité italienne, méritent d'être remises en lumière. La compromission des droites européennes avec l'extrême-droite est un danger pour nos démocraties et pour la construction européenne. Je ne fais pas ici de procès d'intentions : je me contente de décrire la réalité en mouvement sous nos yeux.
Le 31 août dernier, le président du groupe Parti populaire européen (PPE) Manfred Weber se rendait à Rome pour soutenir le parti de droite libérale Forza Italia (FI) dans la campagne des législatives. Alors même que Forza Italia était alliée aux Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni et à la Ligue de Matteo Salvini, dont le populisme et la xénophobie ne sont plus à démontrer. De la part du leader du PPE, ce n'est pas une sortie de route isolée, mais bel et bien un choix stratégique. Il prétend, en agissant ainsi, garantir le respect de l'Europe et de l'État de droit. L'argument laisse songeur. Il suffirait de se montrer à côté des fascistes pour qu’ils deviennent fréquentables ? Malaise et surtout confusion. De cette confusion qui précède les grandes redditions. Car lorsque l’ancre des valeurs est levée, un pays peut dériver vite et loin dans les eaux saumâtres de la barbarie. À la vérité cet aveu de faiblesse est le signe de la déshérence idéologique de la droite européenne en panne de stratégie face à la montée du national-populisme. C'est tout l'héritage démocrate chrétien qui se trouve en risque d'être bradé par la droite pour tenter de reprendre pied face à la vague illibérale. En Suède, les modérés et les chrétiens-démocrates suédois, eux aussi membres des groupes PPE et de Renew, n'ont remporté l'élection du 11 septembre qu'en s'associant au parti d'extrême-droite, Démocrates de Suède. Le précédent espagnol où la droite gouverne la région de Castille-et-Leon avec Vox a fait école. Alors que fera la droite européenne dans les élections à venir en Bulgarie, en Lettonie, en Pologne ou en Espagne ? Sa capacité à refuser les compromissions semble largement entamée. Mais du coup comment pouvoir imaginer que le prétendu « cercle de la raison européenne » continue à fonctionner sur des compromis boiteux passés entre une gauche trop faible et trop pusillanime, et une droite qui larguerait chaque jour davantage ses amarres démocratiques pour tenter de remporter les élections ?
J'ai déjà écrit ici tout le mal que je pense des acrobaties politiques par lesquelles on justifie l’équilibre des forces présentes au Parlement, dans une espèce de Yalta de l'immobilisme qui deviendra de plus en plus celui de la honte. Pardon de l'écrire avec rudesse, mais le double langage des forces politiques qui condamnent l'extrême-droite italienne sans en tirer des conséquences au Parlement européen est consternant et dangereux. Je veux ici pointer les ambiguïtés des amis d'Emmanuel Macron. J'ai entendu les mots de Stéphane Séjourné sur les élections italiennes mais il ne peut dissocier les enjeux politiques européens de ce qui vient de se jouer en Italie. Les discours de dénonciation sonnent creux si on accepte de perpétuer le pacte de cogestion actuel. Nous ne l'avons jamais accepté, et jamais pensé qu'il était de bonne politique. Les amis de leurs amis n'ont jamais été nos amis. Mais plus que jamais, la poussée d'extrême-droite doit nous pousser à refuser le consensus mortifère avec une droite sous influence. Dans une moindre mesure, les sociaux-démocrates (S&D) doivent eux aussi sortir de leur torpeur qui les pousse à co-gérer le Parlement avec le PPE depuis des lustres. Il y a quelque chose de pourri au royaume des droites européennes. On ne peut plus regarder ailleurs. Une majorité Extrême-Droite / PPE / Renew / S&D participe de fait à une entente au niveau de la gestion et l’administration du Parlement européen. Cette situation n’est plus acceptable, pour autant que l’entente Droite-Gauche dans le dos des citoyennes et citoyens européen•nes l’ait jamais été. Face à celles et ceux qui prônent la dépolitisation de l'Europe, qui marche de pair avec sa technocratisation, pour mieux nous faire avaler leurs potions libérales et leur « cercle de la raison », nous défendons l'idée d'une clarification politique. PPE et Renew vont devoir choisir : la cogestion avec les nationalistes autoritaires et fascistes, ou la discussion avec le camp qui demande une autre Europe. Les Socialistes aussi vont devoir parler et agir clairement. Sinon, le risque est que, tous les chemins menant à Rome, la situation politique italienne ne devienne un laboratoire de l'avenir de l'Union européenne.