Protéger.

La campagne des élections régionales entre dans une phase d’élucidation des propositions respectivement portées par les différentes formations politiques. J’appelle mes camarades écologistes à ne rien renier de notre originalité. Nous ne sommes solubles dans aucune des traditions qui nous ont précédé. Notre singularité n’est pas liée à un effet de mode. Elle a des racines profondes, qui fondent d’ailleurs notre capacité à comprendre autrement la période chaotique que traverse note planète. Travailler à expliciter le paradigme écologiste est essentiel dans le cadre de la bataille culturelle que nous menons pour affirmer la cardinalité de nos idées. Je poursuis donc ici la réflexion engagée la semaine dernière avec ma note de blog portant sur l’écologie de la réparation.

 

 A l’évidence, l’impératif de protection est un autre pilier de la nécessaire mutation écologique de nos sociétés.
 
Ce qui me frappe, c’est que le discours sur la protection des écosystèmes et plus généralement la préservation de la nature est déjà ancien, mais qu’il peine à réellement s’imposer comme la matrice d’une nouvelle manière de considérer les politiques à mettre en œuvre. Disant cela, je ne nie pas qu’il existe une prise en compte des enjeux environnementaux, mais je souligne que dans la hiérarchie des normes et des imaginaires, on persiste à faire de la protection de l’environnement une question seconde, et souvent marginale. Bref, une question supplémentaire, et non pas supérieure. Au fond, on considère que nombre d’autres impératifs sont plus importants.
 
Les deux grandes familles de productivistes se rejoignent d’ailleurs sur cette relégation au second plan des enjeux écologiques. Ils ont eu beau s’opposer sur la propriété des moyens de production ou sur la répartition des profits qui en sont issus, ils ont en partage une idée simple : l’humain passe avant la nature, qui n’est que le théâtre de son évolution, et un réservoir de ressources à conquérir et dont, à cette seule condition, il peut disposer comme bon lui semble.

Il faudrait sans doute établir une généalogie de cette idée dominante, voir comment elle est située historiquement et géographiquement : le sujet est passionnant et amène à constituer une histoire de l’idée de nature, et de la manière dont -selon la conception de la nature que l’on formule- on se déploie dans le monde. Les travaux de Philippe Descola sont de ce point de vue précieux. Mais ma note de blog est moins ambitieuse. Je n’affirme qu’une chose simple : nous faisons partie de la nature. La protéger c’est nous protéger. Voilà pourquoi je refuse par exemple de voir caricaturalement opposées la question environnementale et la question sociale.

La fable selon laquelle l’écologie ignorerait, voir s’opposerait, aux droits sociaux ne repose sur aucune base théorique, ni aucun positionnement, que porte depuis son origine l’écologie politique. 
 
 
Ce procès en insensibilité sociale et en inconséquence économique est l’œuvre des Gauche et Droite traditionnelles, qui n’ont pas voulu voir ou ont refusé de comprendre que la base de leurs analyses et propositions était fausse car incomplète. De facto, elles ignorent un fait pourtant central : aucune émancipation de la civilisation humaine n’est possible dans le cadre d’un modèle qui conduit à l’impossibilité de la continuité du cycle de la vie terrestre.
 
C’est pour cette raison que l’écologie s’oppose au profit sans limite basé sur une prédation sur la nature. Et c’est en cela que la protection des écosystèmes constitue la première des protections pour la viabilité des espèces qui habitent la Terre, dont l’humanité. Pour aller vite, l’écologie affirme que la nature n’est pas qu’un décor et qu’elle a une valeur en elle-même. Notre destin commun est solidaire dans les écosystèmes. Se fondant sur cette compréhension, l’écologie politique dont je suis issu, vise alors à défendre de concert des droits sociaux et des droits environnementaux des individus en tentant de remettre la question du profit à sa juste place.



J’en reviens plus directement à la question de la protection écologique, pour signaler à quel point l’idée de protection est politique. Qui protéger, de quoi et comment ? L’idée est vieille comme la cité, et demeure pourtant d’une ardente actualité.



Les tenants du profit sans entrave se sont toujours opposés aux limites posées à leur rapacité : ils récusent et combattent pour cette raison depuis toujours la protection des travailleuses et des travailleurs. La même logique les amène à voir l’écologie comme une contrainte insupportable. Qu’on les laisse donc polluer et détruire la planète en paix, voilà tout ce qu’ils demandent. La protection de la nature doit selon eux s’arrêter là où commence leur profit. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils s’attaquent avec une grande vigueur au « principe de précaution », qui constitue en réalité un principe de protection… Ce principe est remis en question au nom d’un impératif d’innovation sans entrave. Pourtant, c’est bien à des principes politiques reposant sur des droits et des valeurs partagées que doivent reposer les choix technologiques qui doivent être faits. Il est relativement nouveau dans l’Histoire de l’humanité que des inventions humaines puissent avoir des conséquences irréversibles sur l’ensemble du globe et son habitabilité. La protection de l’humanité passe donc nécessairement par un droit de regard et de décision démocratiquement consenti de ce qui constitue une innovation positive ou non. En bref, sur ce qui constitue un progrès ou une régression.


 
Seulement voilà : la réalité indépassable de la crise écologique  rattrape celles et ceux qui voudraient la  tenir pour quantité négligeable.. Avant-hier ils l’ignoraient. Hier ils la niaient. Désormais, ils doivent au su et au vu de tout le monde assumer leurs actes. Le plus souvent ils tentent encore de les masquer à grand coup de greenwashing. Mais ils savent qu’ils sont tenus de rendre des comptes. Il suffit de voir l’incroyable activité des lobbyistes anti-écologie à Bruxelles - et ailleurs - pour comprendre que la protection que nous portons leur est insupportable.

Mais notre attachement à l’idée de protection n’est pas que théorique, elle est aussi concrète. Dans une période où nous savons les transitions et transformations nécessaires, nous ne pouvons nous contenter de dire, comme solde de tout compte, que les plus fragiles étant les premières victimes du modèle actuel - ce qui est rigoureusement exact, elles et ils ont tout à gagner au projet que nous proposons.

La métamorphose de notre modèle de production et de consommation reposant sur un nouveau rapport aux ressources, à la nature et à l’usage du monde, est indissociable d’une garantie de protection des plus fragiles et des plus modestes qui sont les plus impactés par les externalités négatives du modèle de développement actuel. L’acceptabilité du changement de système passe par la garantie que les soubresauts de ce changement ne seront pas supportés par celles et ceux qui aujourd’hui sont déjà pénalisés.

C’est en cela que l’écologie de la protection est au cœur du contrat social et environnemental que nous défendons : raison pour laquelle nous ne pouvons supporter l’affaiblissement systématique des services publics porteurs de cet impératif de protection. La même logique qui a cassé le service public hospitalier veut de surcroît nous empêcher de protéger la nature comme elle se doit. Cette société à irresponsabilité illimitée n’est pas viable.

Je voudrais terminer par un autre aspect de l’écologie de la protection qui concerne notre environnement sensible. Cette préoccupation s’appuie sur des principes d’écosophie que les écologistes portent depuis longtemps. La brutalisation de notre société, des débats qui y ont cours, sont aussi les symptômes de sociétés en crise systémique. L’accélération des communications et la multiplication des canaux par lesquels elles circulent, les stimuli affectifs et émotionnels auxquels nous sommes soumis tout comme l’insécurité sociale, sanitaire et parfois physique à laquelle nous sommes confrontés deviennent invivables et ce cocktail obscurcit nos capacités de réflexion mais également nos capacités empathiques. Dès lors, protéger passe par adoucir. Adoucir c’est prendre soin, prendre le temps et se reconnecter avec ce qui compte vraiment. C’est aussi réhabiliter un autre concept écologique qui a parfois été moqué : le convivialisme.

Cet aspect est essentiel, dans un moment où la tentation régressive d’une société de surveillance qui nous  scrute  en permanence et nous intime de voir l’autre comme une menace est omniprésente. Les écologistes refusent que nos droits fondamentaux, notre intimité, notre vie privée soient remis en question sous des prétextes fallacieux. Le respect de ces droits constituent la première des protections . Y renoncer nous amènerait vers le totalitarisme aussi surement que le fleuve mène à la mer.


 À rebours des modes individualistes, nous devons tirer toutes les leçons des crises en cours et comprendre que la protection est un des piliers de notre vie en commun. C’est d’ailleurs parce que les protections semblent vaciller et reculer, que l’idée d’un destin commun se fragilise au moment même où elle devrait gagner en vigueur pour faire émerger un sursaut de conscience civique. ’achève donc sur cette affirmation : construire l’idée de transition écologique, c’est d’abord réaffirmer l’idée que des protections multiples doivent être garanties. La démocratie elle-même doit être pensée à cette aune : non pas un régime parmi d’autres, mais celui qui, par la confrontation des idées opposées, garantit la forme de protection la plus haute, parce que libérée du joug de l’arbitraire.

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