Une marche après l’autre
La vie politique a ses rythmes propres, ses rites immuables. Parmi eux, la saison des sondages. Sauf que, à bien y réfléchir, comme dirait l’autre , « ya plus d’saisons ». Les chiffres de toutes sortes, censés explorer les méandres des intentions de vote de nos concitoyennes et concitoyens, nous escortent désormais en permanence. Il y a ceux du soir et ceux du matin. Ceux qu’on partage sous embargo et ceux qu’on commente fièrement. Bref, les sondages sont partout.
Et je mentirais effrontément si je disais que je ne les lisais pas. Pour me dédouaner de cette occupation coupable, je précise que ma doctrine en la matière est de ne pas indexer mes enthousiasmes ou mes inquiétudes sur les courbes sondagières.
Au fond, avec les sondages la règle est simple : on s’en défie quand ils sont mauvais, on s’en réclame quand ils sont bons. L’adage fonctionne avec une telle constance, qu’il vaut règle d’or pour qui veut prédire la réponse d’un responsable politique interpellé sur tel ou tel mouvement de l’opinion électorale.
Le dernier sondage Harris sur la prochaine présidentielle a été fort commenté dans les états-majors. Que dit-il ? Que le Rassemblement National est fort. Qu’Emmanuel Macron reste solide, mais porté par l’ambiguïté du vrai faux candidat de la droite et du centre qu’il est. Que les gauches issues de la décomposition de la sociale-Démocratie dans leur globalité sont faibles mais demeurent à ce stade distancés par Jean Luc Mélenchon, le plus ancien dans le grade le plus élevé. Que les écologistes, plus haut que leurs scores habituels concourent pour le leadership de l’alternative sans être, encore, en capacité de complètement revêtir cet habit.
Si ces sondages s’avéraient exacts, la cause est entendue : ni la gauche ni les écologistes ne seraient en mesure de l’emporter.
Comment l’expliquer ? Un déficit d’incarnation selon certains. L’argument ne me convainc pas. On peut penser ce qu’on veut d’Anne Hidalgo, et j’ai, en tant qu’écologiste des désaccords politiques sur sa vision de l’avenir et en tant que membre d’un Parti partenaire, une sidération déçue de ses manières mesquines à notre égard. Mais comment penser qu’elle n’incarne rien ?
Et Arnaud Montebourg ? S’il demeure pour moi une énigme politique tant sa plasticité idéologique est grande, on ne peut lui faire l’injure de penser qu’il ne représente rien. Yannick Jadot, ou Eric Piolle, (qui n’était pas proposé au choix des sondés,) représentent un courant de pensée en dynamique dans la société, comme l’ont montré la belle campagne européenne de l’un ou la large réélection municipale de l’autre. Pour autant leurs sondages ne sont à ce stade pas probants.
M’est-il permis de dire que la présidentielle est lointaine et l’horizon incertain ? Que valent donc ces sondages ?
Ils représentent un instantané. Chacun y lira ce qu’il veut y lire. Les zélateurs de l’unité à tout prix y voient la preuve que faute d’union, nous serons défaits. Ils se féliciteraient presque des mauvais sondages qui apportent de l’eau au moulin de leur pessimisme et étaye le bien fondé de leur représentation figée du paysage politique.
« La faute à la division » martellent-ils quand on leur demande d’expliquer la mauvaise fortune de la gauche et des écologistes.
Pas plus que le déficit d’incarnation, la présence de candidats distincts ne saurait suffire à expliquer la défaite supputée. Faut il rappeler que François Mitterrand fut élu en 81 malgré les multiples candidatures de gauche et écologistes ? Plus près de nous, François Hollande fut élu en dépit des candidatures de Jean Luc Mélenchon et Eva Joly. L’unité n’est donc pas une clé en soi.
Retour à la case départ. Comment gagner en 2022 ? D’abord prendre les marches l’une après l’autre et ne pas considérer que le scrutin régional et les enjeux qu’il représente sont dérisoires et donc une simple étape avant la confrontation finale. L’obsession présidentielle et les appétits individuels ne doivent pas nous détourner des questions cruciales portées par les élections régionales en termes de maitrise de notre avenir commun. Elles diront la vérité du pays. Et cette vérité comme le moment dans lequel nous sommes n’est pas jacobin, il est girondin. Il a à voir avec la reprise de contrôle sur nos vies, sur ce qui est véritablement important: L’endroit où l’on vie, ce dont dépend notre subsistance et la prise de conscience des interactions qui nous lient dans une commune humanité terrestre. L’heure n’est pas au mépris des territoires. L’enjeu des régionales porte en lui des sujets majeurs: De la lutte contre la toute-puissance de la métropolisation - corolaire de la mondialisation subie et des prédations sur le vivant; de la relocalisation de l’économie, du bouclier social à mettre en place pour faire face à la crise.
Vous me direz que j’esquive la question des présidentielles. Non j’y réponds en disant que notre pays doit puiser dans les territoires les idées qui lui permettront de bâtir un nouveau modèle. Et ma conviction est que l’impasse qui est faite sur nos Régions et ce qu’elles représentent dit quelque chose du mépris de nombreuses élites sur ce qu’elles représentent pourtant pour nombre d’entre nous : notre quotidien.
Et l’unité me direz vous ? Ma position est simple et peut se formuler de deux manières: Ce n’est pas l’unité qui fait le projet, c’est le projet qui crée les conditions de l’unité. Et c’est la clarté qui ressemble, quand l’ambiguïté divise. L’unité ne représente en elle-même aucune force propulsive. L’unité pour l’unité est, au mieux, une disposition tactique défensive. Mais que dit-elle du récit politique et du projet capable d’incarner l’alternative aux Droites dans les temps qui viennent? Pas grand chose.
Dés lors, que disent les sondages ? La gauche et les écologistes ne manquent pas de prétendants ou d’unité, mais de dynamique.
Au lendemain des régionales nous en reparlerons. Mais d’abord, il nous appartient de créer les conditions de la victoire de nos idées dans les régions. Car c’est de l’alternance par l’exemple, aux échelons à taille humaine, bienveillante, nouvelle, écologiste et solidaire que nous donnerons à voir ce que notre imaginaire politique contient de promesses réalisées et à venir.