Projet de loi de finances : il faut sauver l’Agence Bio
Le 17 janvier 2025, lors de l’examen du Projet de Loi de Finances 2025, le Sénat a adopté un amendement visant à supprimer l’Agence Bio, organisme central pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique en France. Justifiée par des raisons de rigueur budgétaire et jugée « pertinente » par la ministre de l’Agriculture, cette décision constitue en réalité une menace grave pour la transition agricole et alimentaire, pourtant cruciale. Au moment où j’écris ces lignes, la décision est entre les mains de la commission mixte paritaire réunie le 30 janvier pour finaliser le budget 2025.
Une agriculture biologique en crise : l’urgence d’un soutien
Depuis trois ans, la filière biologique traverse une crise économique marquée par une baisse de la consommation des produits bio couplée à une hausse des coûts de production.
Ces défis fragilisent près de 60 000 agriculteurs biologiques, qui cultivent aujourd’hui 10,3 % de la surface agricole utile (SAU) en France. Cette situation augmente le risque de « déconversion », un retour des agriculteurs à l’agriculture conventionnelle.
L’Agence Bio remplit trois missions essentielles :
· Observatoire de marché : analyse des tendances et besoins.
· Communication : sensibilisation du grand public et des acteurs économiques.
· Structuration des filières : soutien direct via le Fonds Avenir Bio.
Supprimer cet organisme revient à couper le lien vital qu’il assure entre producteurs, distributeurs et consommateurs. Les structures qui hériteraient de ses missions (FranceAgriMer, ministère de l’Agriculture) manquent à la fois de compétences et de moyens pour garantir la même efficacité.
L'inconscience d'un choix politique, au mépris des données
L’agriculture biologique représente une alternative durable face à un modèle agricole dit « conventionnel » qui exerce une pression immense sur les sols, l’eau et la biodiversité. Par ailleurs, ce modèle dit « conventionnel » ne fait pas le bonheur des agriculteurs. Au contraire…Il eut pour effet – et c’est toujours le cas – la fermeture de dizaines de milliers de fermes et la perte de millions d’emplois agricoles dans les territoires ruraux. L'abandon par les pouvoirs publics de l’Agence Bio représenterait un recul dramatique dans les pistes de transition d’un modèle agricole dominant aujourd’hui punitif à la fois pour les paysans et pour l’environnement. Pourtant, les innovations que permet le développement de l’agriculture biologique ont fait leur preuve en matière de réduction des pesticides, de préservation des ressources en eau et de la vie des sols, de promotion de la biodiversité, de réponses aux demandes des citoyens en termes de bien-être animal et de qualité des produits alimentaires, pour n'en citer que quelques-uns. Preuve de la reconnaissance de ces bienfaits, l'Union européenne s'est donné l'objectif d'atteindre 25 % de surface agricole utile labellisés en bio d'ici 2030.
En septembre dernier, la Cour des comptes européennes s'est d'ailleurs penché sur le cas de l'agriculture bio. Elle en a produit un rapport spécial 19/2024 au titre évocateur : « L'agriculture biologique dans l'UE – Des lacunes et des incohérences compromettent le succès de la politique menée ». Le secteur ne représentait que 10,5 % de la SAU en 2022, loin de l'objectif précité de 25 %. Par ailleurs, les auditeurs européens pointent un manque dommageable de structuration des filières biologiques qui permettrait de soutenir les agriculteurs bio malgré la crise en assurant une chaîne de valeurs en aval de la production. Enfin, la Cour des comptes européenne indique une insuffisance des outils de suivi et de collecte de données sur le bio.
On aurait pu espérer que nos sénateurs ou notre gouvernement aient ce rapport en tête lorsqu'ils se sont piqués d'inclure l'Agence Bio dans les débats budgétaires. Hélas, trois fois hélas ! La suppression de l’Agence Bio affaiblirait considérablement la capacité de la France à contribuer à l'objectif des 25 %. Je ne parle même pas des objectifs fixés par la loi française pour approvisionner les cantines en bio (6 % seulement, bien loin des 20 % fixés par la loi EGAlim). Par ailleurs, le Fonds Avenir Bio, doté de 18 millions d’euros, illustre l’importance de l’Agence Bio pour financer des projets innovants dans les filières biologiques et de stimuler leur croissance... Sa disparition laisserait un vide que ni le marché ni l’État ne sauraient combler, mettant ainsi en péril jusqu’à 215 000 emplois liés au secteur biologique.
Repenser nos priorités pour l’agriculture biologique
Finalement, cette décision de suppression illustre une vision erronée de l’économie publique. La suppression de l'Agence Bio a été justifiée par ses soutiens comme une mesure nécessaire, une goutte d'eau dans un océan funèbre d'austérité. Son budget de fonctionnement, à mettre en regard de ses multiples missions ? À peine 3 millions d'euros annuels !
La vérité est que derrière l’alibi de la rigueur budgétaire, ce coup porté à l’Agence Bio est avant tout idéologique de la part de ceux qui veulent abattre tout espoir d’évolution de notre modèle agricole aujourd’hui aux mains des géants de l’agrochimie, de l’agroalimentaire et de la grande distribution.
Les larmes de crocodiles sur le sort des agriculteurs qui coulent sur les joues des sénateurs dissimulent difficilement les intérêts dont ils sont les serviteurs.
L’agriculture biologique est aussi un projet d’émancipation pour les paysans qui construisent avec ce modèle un lien direct avec les consommatrices et les consommateurs. C’est ce nouveau rapport de force vis-à-vis des intermédiaires qui rançonnent aujourd’hui le peuple de l’agriculture qui est visé avec la prise pour cible de l’agence bio.
J'aimerais ajouter par ailleurs que les investissements dans l’agriculture biologique aujourd’hui représentent, pour demain, des économies considérables. Car l’aide à la structuration de la filière bio coûtent bien moins cher que les conséquences environnementales et sanitaires de l’agriculture conventionnelle. Les externalités positives du bio – comme la réduction des coûts liés à la pollution ou à la santé publique – compensent largement les dépenses publiques consacrées à ce secteur.
Face à cette menace, une mobilisation citoyenne et politique est cruciale. La Commission mixte parlementaire doit écouter les acteurs de la filière, les syndicats et la société civile, et rejeter cet amendement !
Cette structure n’est pas une simple dépense publique : elle est un investissement stratégique pour l’égalité des territoires, pour l’avenir de notre agriculture, pour la préservation de notre environnement et pour la qualité de notre alimentation.